Appelé Lo Hei, Yusheng ou encore Lucky raw fish salad, ce plat est devenu une spécialité typiquement singapourienne servie lors des festivités du Nouvel An chinois.
Cette salade colorée à base de poisson cru et de crudités symbolise l’abondance et la prospérité. Et plus les convives – amis ou collègues – lèvent haut les baguettes pour mélanger les multiples ingrédients, plus la chance sera avec eux.
A l’origine, il ne s’agissait que d’un simple plat de poisson cru venu de Chine. Ce sont les communautés Cantonaise et Teochew – chacune ayant d’ailleurs sa propre façon de le cuisiner – qui ont importé à la fin du 19èmesiècle, ce met à Singapour.
Mais ce n’est qu’en 1964 que le Lo Hei tel qu’on le connait aujourd’hui est apparu. Ce plat très contemporain donc, est l’œuvre de quatre chefs singapouriens surnommés les « Quatre rois célestes » de la cuisine cantonaise: Sin Leong, Hooi Kok Wai, Lao Yuke Pui (décédé en 2006) et Than Mui Kai Yu (décédé en 1996). C’est dans les années 1950 qu’ils se sont rencontrés et liés d’amitié dans les cuisines du Cathay Restaurant où ils sont apprentis.
Quelques années plus tard, alors qu’ils ont chacun leur restaurant, ils réfléchissent au lancement d’un nouveau plat qui pourrait améliorer leurs affaires au moment du Nouvel An chinois. C’est ainsi qu’en 1964, le Lo Hei fait son apparition sur les tables des restaurants des quatre complices pour célébrer l’année du Dragon.
« Les ingrédients du Yusheng traditionnel étaient très simples, nous voulions améliorer sa couleur, son arôme et sa saveur », explique Sin Leong – dans une interview filmée et réalisée il y a plus d’une dizaine d’années – avant d’ajouter « le nouveau Yusheng a sept couleurs et comprend un assaisonnement acide, sucré, amer et relevé ».
Le Lo Hei compte en tout 12 ingrédients disposés en rond les uns à côté des autres, et sa sauce, en comporte au moins cinq, tous ayant une signification particulière. Le citron, par exemple, est synonyme de chance et de profit tandis que les crackers et le sésame doivent apporter l’or et la prospérité.
Le succès de ce plat n’est pas venu tout de suite. « La première année, lorsque nous avons lancé le nouveau Yusheng, les gens plus âgés de la générations des années 1940-1950 n’étaient pas réceptifs à cette idée, explique Sin Leong dans un autre extrait de cette interview. « Ils étaient habitués à préparer l’assaisonnement eux-mêmes. Quand on s’est mis à préparer tout pour eux, certains se sont même demandés si nous allions aussi mélanger pour eux », ajoute-t-il en rigolant. « On leur a dit d’essayer. Finalement, non seulement les adultes ont aimé le nouveau plat, mais les enfants, aussi l’ont apprécié », conclut-il.
Si ces « Quatre rois célestes » sont bien à l’origine de la transformation du Yusheng en véritable tradition culinaire singapourienne, c’est en revanche le public qui a spontanément créé le célèbre rituel du lancer de crudités qui accompagne désormais ce met de bon augure.
En 1974, les quatre complices fondent ensemble un nouveau restaurant, le Red Star qui existe encore aujourd’hui. Installé au 7èmeétage d’un parking, non loin du People’s Park Complex, le restaurant n’a pas changé en 45 ans. Le cadre est authentique et la pièce aux allures de salle de bal est immense. Au plafond, les chauves-souris incrustées dans les décorations rappellent le symbole du bonheur, tandis qu’aux murs, figurent de nombreuses photos des chefs devenus légendaires. Les serveurs circulent avec leur chariot pour présenter les paniers de Dim Sum, une autre des nombreuses spécialités du restaurant aujourd’hui. Les chefs Sin Leong, 91 ans, et Hooi Kok Wai, 80 ans, sont encore en cuisine. Ouvert dès 8h du matin, le Red Star compte plusieurs centaines de couverts. Et en cette période de l’année, l’affluence est à son comble. On entend par-ci par-là crier « Lo Hei ». Ce sont les clients qui viennent célébrer la nouvelle année lunaire, leurs baguettes en main pour mélanger la salade qui leur apportera chance et prospérité tout au long de l’année 2019.